
Il nous fallait cheminer plus longuement. Prendre la direction du « far west » espagnol. Destination Saint Jacques de Compostelle, le long du « Camino del Norte ». 900 kilomètres à tenir tête aux vents d’Ouest en serpentant sur les falaises déchiquetées de la péninsule ibérique. Passer un à un les estuaires qui jalonnent cette côte de sables d’or et de vagues océaniques. Trouver sa voie au milieu des mille et une indications qui ponctuent le sentier.
La plus belle joie de ce pèlerinage est de croiser ces marcheurs, sac au dos, bâton à la main et coquillage pour emblème, lançant amicalement un chantant « buen camino ». Bien plus qu’une simple salutation, un encouragement, une attention particulière envers cette démarche personnelle entreprise par chacun.

Des jours durant, les pèlerins de Compostelle cheminent en quête d’eux-même et de réponses intérieures. On apprend ici que le bonheur n’est pas le but mais le chemin. L’importance de la persévérance. Une intériorité qui permet de mieux goûter chaque instant présent. Marcher seul pour se donner le temps de s’écouter, d’éclairer son esprit.
La diversité de ces routards m’a impressionné : hommes / femmes, jeunes / vieux, groupes ou individuel, sportifs ou plus bedonnants. Toutes les nationalités sont représentées. Nous croisons des russes, des tchèques, un bulgare ; bien sûr des groupes d’espagnols, d’italiens, de français et quelques allemands mais aussi une chilienne, un coréen et une néo-zélandaise. Saint Jacques attire comme un aimant celles et ceux qui ont besoin de faire une pause, de se ressourcer. Certains en sont à leurs troisième ou quatrième pèlerinage, empruntant des voies différentes même si le choix de l’itinéraire importe peu comparé à ce qu’il vous apportera.

Notre petite famille aura d’ailleurs bien du mal à rentrer dans ce pèlerinage. Compostelle n’est pas notre but ultime mais seulement une étape. Famille parmi les solitaires, cyclos parmi les marcheurs, voyageurs au milieu des trop nombreux touristes aoûtiens, nous ne trouvons pas notre place au début. Suivre le balisage nous entraine sur les petits chemins de traverse caillouteux, rapidement infranchissables. Alors on se contraint à prendre l’asphalte, moins charmant mais plus roulant. Et le problème vient de là. Avec ce vent de face qui balaie la côte, nous n’avançons pas !
Depuis quelques jours, je m’accroche avec Simon. Il faut forcer l’allure et mon p’tit bonhomme a du mal à se mettre au diapason. Il lambine, marque des pauses à contre-temps. Au lieu de se calfeutrer à l’abri de nos sacoches comme le font ses sœurs, il lutte en solo contre les bourrasques. Ses jambes frêles n’ont plus les ressources pour suivre la cadence. Un jour … deux jours… On ralentit mais rien ne change. Simon n’habite pas son corps. Son esprit rêvasse et il laisse inéluctablement la distance se creuser. Rien de nouveau, depuis tout petit, il a du mal à connecter ses ressentis à son intellect.

Troisième jour, ma propre fatigue aidant, je craque et le bouscule verbalement pour qu’il réagisse. Rien n’y fait ! Son « petit vélo intérieur » mouline mais reste inaccessible à mes remarques, à mes encouragements ou à mes remontrances. Le plus dur, c’est que lui-même n’arrive pas à maîtriser ce mental fugueur. Cela le rend terriblement triste et moi aussi. Lui derrière et moi devant, nous pleurons de ne pas nous comprendre. Me voilà bien perplexe : comment le sortir de sa torpeur pour qu’il trouve suffisamment de « conscience en lui ? »
Nous prenons du repos à la formidable plage-bocal de Gulpiyuri, discutons longuement avec lui au phare de Luarca. Le relief se fait moins montagneux et surtout, le vent finit par faire volte-face. Mon champion reprend courage et se voit pousser des ailes. Il redouble d’effort et va chercher en lui des ressources inexplorées. Sur ces routes de Santiago, il aura appris à lutter contre lui-même pour se dépasser. Faire mieux que ce qu’on n’aurait jamais pu espérer.

Arrivée sur la place centrale de Compostelle, dans cette ambiance d’allégresse et d’accomplissement, je contemple le fronton de la cathédrale dorée par le soleil avec une grande paix intérieure. Les enfants sont fiers, Marie-Hélène et moi aussi. Cette aventure n’est certes parfois pas facile et je mets toute la famille à rude épreuve mais cela est tellement formateur. « Décidément, devenir une grande personne, c’est parfois vraiment bizarre » me disais-je simplement en voyageant sur les traces du petit prince.
Merci pour ce bel et émouvant article. Un grand bravo à tous, mais plus particulièrement à Simon. Je suis très fière de mon filleul, bravo à toi ! Je vous embrasse tous très fort. Soyez ressourcés pour la suite de votre belle aventure. Affectueuses pensées.
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Merci Yannick pour ce beau témoignage. Celui-ci m’évoque quelque chose puisque je l’ai déjà dit, j’ai fait personnellement le pèlerinage en solidaire à pied d’Oloron Ste-Marie a Santiago en 1972. Vous expérimentez, comme toute famille l’expérimente, combien vos trois enfants sont différents, mais, ta femme et toi, avez osé, bien sûr, avec leur accord, leur proposer cette expérience extraordinaire qui, sans nul doute, sera un jalon essentiel dans leur existence. Merci à vous tous de nous la faire partager de la sorte, comme autrefois (il y a déjà 14 ans paraît-il) vous nous avez fait partager votre voyage Chambéry/Malawi/Afrique du Sud. Mes amicales pensées, mes encouragements et mon espoir que tout se poursuive bien. Joseph Mougel
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Chers Yannick et Marie-Hélène,
Merci pour ce partage imprévu, mais révélateur des pépites qui jalonnent votre chemin, élargissent votre coeur et grandissent vos enfants et construisent votre belle famille. La route encore longue mais la foi et l’espérance des pèlerins vous soutiennent. Bon chemin roulé. Amitié.
Yves
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Merci Infiniment pour tous vos partages , je suis éblouie par votre énergie par ce que vous nous faites vivre à distance
C’est magnifique
MERCI
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Bonjour Yannick. En lisant ton récit, je me dis que tu es un vrai père pour Simon….. un peu comme Notre Père céleste. Bravo à vous deux, père et fils, pour votre persévérance. Grâce à vous ma journée commence bien. Bon chemin
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Bravo pour cette belle écriture, toujours un plaisir de vous lire à travers vos styles et regards variés, nous offrant un beau partage multi-facettes de votre périple.
« Marcher pour se donner le temps de s’écouter, d’éclairer son esprit », c’est également ce qui transparaît sur ces quelques lignes de la relation père-fils, dans laquelle nous devons pour beaucoup nous reconnaître et qui nous incite à une propre prise de recul.
Je retrouve à travers ces articles – ceux des enfants compris, bravo également à eux – la qualité et profondeur que j’avais appréciées lors de votre voyage en cyclo-interrogation. C’est vivifiant, et ressourçant à la fois. Merci à vous.
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Je suis très touché par tous les récits de votre voyage. Je vous souhaite beaucoup de courage. C’est magnifique votre voyage avec vos 3 enfants.
Bonne continuation
Marie-Thérèse (Voissant).
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Bravo et merci pour ces beaux moments partagés.
Bonne route et … bon vent !
Laurent
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