Les petits princes à vélo ont atteint les étoiles. Nous voici arrivés à Bignona en Casamance, entourés de tant d’amis. Cinq cyclos bignonois nous ont rejoints pour la dernière centaine de kilomètres, renforçant l’aventure humaine qui nous anime depuis le début. Quatre journées inoubliables sur les pistes de latérite, à rigoler, s’épauler, chanter et discuter. Ousmane ne rate jamais une occasion de se lancer dans de folles acrobaties. Daouda sur son tricycle nous impressionne en avançant à la seule force de ses bras. Moustapha veille à la sécurité et à la bonne marche du groupe pendant que Cheikh Tidiane s’occupe, plein d’attention, du rythme des plus jeunes. L’autre Ousmane coordonne, le sourire aux lèvres, toute cette petite troupe avec calme et sérénité. Jour après jour, d’autres amis voyageurs au long court nous rejoignent pour pédaler vers ce final tant attendu : Philippe, le marin globe-trotteur ; les deux sœurs Sista croisées à Nouakchott et enfin quelques membres de la famille venus passer Noël à nos côtés. Et nous voici maintenant seize à rouler dans une ambiance de plus en plus conviviale.
Cette dernière semaine de voyage est mise à profit pour échanger avec les écoles sur nos ressentis, nos expériences, nos découvertes. Ce n’est pas une seule classe qui nous fait face mais plus souvent toute l’école, voir tout le village qui s’intéresse au périple. Impossible de tout dire. Il nous a donc fallut sélectionner 30 photos comme autant d’instantanés qui ont ponctué nos six mois nomades. Un choix difficile mais salvateur car il nous oblige à faire le tri parmi toutes nos émotions, telles « des billes de toutes les couleurs1 ». Résumé ainsi, le voyage donne le tournis, semble presque irréel. Nous sommes passés des montagnes à la mer, de la ville au désert, d’un continent à l’autre et avons croisé tellement de vies différentes, aperçu tant de visages et noué de si belles amitiés. Assurément, ce voyage va changer nos vies et laissera une trace indélébile dans nos mémoires.
Après une aventure aussi intense, un final en apothéose s’imposait. Les amis sénégalais l’avait bien compris en nous réservant une série d’incroyables surprises qui allaient nous porter jusqu’à la ligne d’arrivée. Dès l’entrée dans le village de Djimande, à 25 km de Bignona, c’est tout le village accompagné du célèbre Kumpo qui vient nous accueillir sur la route. Les enfants ont les yeux écarquillés en admirant ce masque sacré des Diolas, tournoyant au bout de son pic de bois pour jeter sur nous toutes ses bénédictions. En rond, tout le village danse et se déhanche au rythme enivrant du tam-tam et des claves de rônier. Nous voilà bien vite entraînés par la foule, tentant quelques pas maladroits pour communier avec l’énergie du moment.
Le lendemain, au réveil, la communauté des femmes nous convie à la rejoindre au pied du fromager millénaire. Assis à même le sol, elles nous invitent à confier nos espérances aux forces divines de la forêt et formulent pour nous des bénédictions animistes. L’instant est magique. La fraîcheur de la terre apaise nos dernières inquiétudes et le chant de prières semble s’envoler dans les airs à travers les feuilles de l’arbre colossal pour emporter toutes nos requêtes.
Quand l’heure du dénouement approche, la fierté se mélange au trouble. Nos trois petits héros pédalent avec un entrain sans pareil, heureux de découvrir enfin cette ville dont ils entendent parler depuis qu’ils sont tout petits. Toutes les images du voyage tournoient dans nos têtes, rappelant un visage, un paysage, un moment de partage. La traversée des bas-fond rizicoles qui marquent l’arrivée dans la ville me noue le cœur. Ça y est, nous y sommes ! Ce pari osé est réussi.
L’entrée en fanfare dans Bignona se fait accompagnés d’un long peloton de plus de 500 cyclos. Enfants et adultes ont revêtu des tee-shirt blancs ou oranges à l’effigie du Bignona Vélo Club, estampillés sur le dos : « Fête du vélo, Dans la Roue du Petit Prince ». Jamais, de mémoire de bignonois, autant de vélos n’avait été réunis pour sillonner la ville ! D’abord interloqués, les passants se mettent ensuite rapidement à acclamer cette ferveur populaire. Au bout de six kilomètres, nous franchissons l’ultime ligne d’arrivée. Tous les honneurs nous sont réservés. Nous voici sur un podium à écouter d’interminables louanges un peu en décalage avec la simplicité de la démarche vélocipédique qui nous anime. Mais après tout, nous sommes les z’héros du jour. Et nous sommes heureux que notre projet suscite une si belle dynamique cyclo à Bignona. Bien vite, le micro nous est tendu pour répondre aux premières questions.
Nous contons les meilleurs moments, les difficultés en essayant de faire rêver tous ces enfants qui, assis sur leurs petits vélos, se voient déjà partir pour de telles aventures. Et l’on nous demande : « Que retiendrez-vous de cette formidable épopée ? ». Amandine se lance la première, en répondant que « c’est trop cool le voyage à vélo ! » et qu’elle aspire à vivre plus simplement. Coline s’émerveille de toutes nos rencontres et aimerait à son tour s’investir pour « porter des alternatives ». Simon a tant appris sur lui même qu’il repartira plein de confiance en lui. Le voyage a permis à Marie-Hélène d’avoir du temps pour comprendre que chaque objectif qu’on se fixe s’atteint étape par étape. Et moi, je suis le plus comblé des pères de famille. J’ai emmené à ma suite toute ma petite famille et réalisé le plus beau des rêves…

Merci à vous tous d’avoir ainsi suivi nos aventures, article après article, vidéo après vidéo, avec un tel enthousiasme. Vos messages, vos encouragements, votre attention silencieuse a beaucoup apporté à notre progression. Nous nous savions portés ! Merci aussi pour votre générosité à financer nos kilomètres, ce qui va permettre de faire perdurer cet élan cycliste encore bien longtemps…